PRÉSENTATION DES YOGAS SUTRAS DE PATANJALI
Sûtra veut dire fil du collier en Sanskrit et par extension nous pouvons penser au fil conducteur d’un raisonnement, d’un exposé. Le traité est constitué de 195 (200) aphorismes ou sutras, phrases écrites sans verbes conjugués qui sont répartis en 4 livres ou chapitres les Padas (= pieds).
Certains comparent les 4 padas aux 4 étapes de la vie, aux 4 états de la matière (sattva, raja, tamas et gunatita = les gunas en équilibre) et aux 4 castes (varnas).
Ces Sutras semblent être un « aide mémoire » pour les enseignants, une charpente pour édifier un enseignement.
1 Samadhi Pada sur la contemplation, ou « l’esprit apaisé »
- définition du Yoga et de l’esprit (versets 1 à 4)
- états et fonctions de l’esprit, les Vrttis (5 à 11)
- le sentier pour atteindre le Yoga, apaisement des Vrttis (12 à 16)
- les champs de conscience (17 à 19)
- les outils pour s’examiner et se situer sur le chemin (20 à 22)
- commentaires au sujet de Dieu (l’Esprit Cosmique), la dévotion (23 à 29)
- les obstacles sur la voie du Yoga (30,31)
- quelques suggestions pour surmonter ces obstacles, la réunification intérieure (32 à 39)
- Les fruits de la réunification : les qualités expérimentées par la quiétude mentale et ses conséquences ou bénéfices (40 à 51)
Ce chapitre indique la direction, la finalité du yoga et des moyens pour accéder au Samadhi ou état supérieur de conscience.
Il comprend la description des obstacles et comment les supprimer et la description des différents stades du Samadhi : les différentes étapes de cet éveil, ou encore les différents types possibles d’états de conscience élargie. Il explique comment rompre le lien naturel existant entre l’action et ses conséquences (Karma-vipaka).
Il s’adresse à une personne à la pensée active qui recherche une solution à l’agitation mentale
3 Vibhuti Pada ou Siddhi pada sur les pouvoirs ou « ’expansion de la conscience »
- la pratique des derniers trois Angas, (Dharana, Dhyana, Samadhi) le chemin vers la concentration parfaite Samyama (versets 1 à 15)
- le développement graduel des pouvoirs paranormaux enfouis dans chaque Être humain, les siddhis : les huit pouvoirs principaux et commentaires de plus de quarante. (16 à 50)
- Le détachement qui conduit à la liberté (51à 56)
Ce chapitre décrit les manifestations de pouvoir et d’énergie, l’apparition éventuelle de certains phénomènes inhabituels chez certains pratiquants fortement impliqués dans leur démarche de Yoga…
Il précise quels sont les premiers résultats d’une pratique bien conduite, il traite avec beaucoup de détails de la question des différentes catégories de "pouvoirs psychiques" (siddhi) que l’on peut obtenir grâce au Yoga.
Mais, il explique cela pour dire aussi que tel n’est pas le but véritable du Yoga, que ça n’en est qu’une étape, des bénéfices secondaires. Cela survient au cours du travail sur soi, mais doit être dépassé… il met en garde contre ces nouvelles capacités, entre autres des faux contentements que ces pouvoirs peuvent engendrer.
Il s’adresse à une personne qui obtient des résultats particuliers grâce à la méditation
2 Sadhana Pada sur la pratique ou « sur le chemin du Yoga »
- le Kriya Yoga (Yoga de l’action supérieure) (versets 1 et 2)
- le champs de l’émotionnel : les Kleshas, les possibilités de les atténuer (3 à 11)
- les effets produits par l’obscurité de l’esprit les afflictions, les actions et les souffrances, le processus karmique (12 à 16)
- Le Samyoga, la relation entre le soi et la matière (17 à 23)
- Le discernement, la discrimination, les moyens de mettre fin à la confusion (24 à 29)
- la présentation de l’Ashtanga Yoga (les huit menbres du Yoga) (30 à 55) • Les disciplines relationnelles et personnelles (Yamas Niyamas) (30 à 39) • Considérations sur les pratiques (43 à 45) • Les disciplines corporelles et respiratoires (Asana, Pranayama) (46 à 53)
- le système de l’expansion de la conscience, la discipline sensorielle (Pratyhara) (54 et 55)
- Le second chapitre traite de la pratique ou de l’ascèse du Yoga.
Ce chapitre donne les moyens concrets pour créer les conditions favorables à ce processus de transformation. Sadhana veut aussi dire stratégie ; c’est donc la stratégie qui amène le mental à découvrir et, à lâcher ce qui l’encombre. Apaisé, il ne fera plus d’obstacles entre la réalité et notre conscience profonde, véritable source de perception.
Il concerne la personne d’action qui connaît la souffrance et veut s’en sortir
4 Kaïvalya Pada sur l’émancipation ou « la libération »
- Le Karma (versets 2 à 14)
- la transformation de l’Être et son indépendance finale, de la dualité à l’unité (15 à 34)
Le quatrième chapitre définit plus précisément ce qu’est l’accomplissement ultime du Yoga et ce vers quoi doivent tendrent tous les efforts d’un authentique pratiquant.
Ce résultat ultime, selon Patanjali, n’est autre que l’accès à une totale autonomie psychologique et spirituelle. Pour Patanjali en effet, la dépendance, y compris à des choses dites "heureuses" est la cause cachée de toute souffrance. Le Yogi véritable est celui qui a trouvé en lui même la source de toute satisfactions et qui donc ne dépend plus de rien ni de personne extérieurs à lui pour vivre sa sérénité intérieure.
Si des choses heureuses lui arrivent, elles n’augmentent pas sa plénitude.
Si des choses malheureuses lui arrivent, elles ne diminuent pas sa plénitude.
Il est devenu, parce que définitivement relié à la source universelle de sa propre existence, le Soi.
Il parle à celui qui est sur le chemin de l’accomplissement, pour recouvrer sa liberté.
LES OBSTACLES À LA PRATIQUE DU YOGA
(Reflexions inspirées par les Yoga Sutra de Patanjali)
Les obstacles à la pratique du Yoga
Dans le chapitre I verset 30 Patanjali décrit les obstacles à la pratique du Yoga :
la maladie (vyadhi), l’abattement (styana), le doute (samsaya), la négligence (pramada), la paresse (alasya), l’avidité (avirati), les fausses connaissances (bhranti), l’incapacité à trouver sa voie (alabdha bhumikatva), l’instabilité( anavasthitava),
Ces obstacles s’accompagnent de la souffrance (duhka), du désespoir (daurmansya), de l’instabilité du corps (angamejayatva) et de l’irrégularité de la respiration (svasa-prasvasa)
La maladie peut être aussi bien physique que mentale, elle rend impossible la concentration.
Avoir un corps sain est la condition primordiale pour avancer sur le chemin du Yoga.
L’abattement, l’apathie, se produit par manque d’énergie adéquate, on ne doit pas gaspiller son énergie, on doit éviter « d’en faire trop ».
Le doute systématique peut rendre cynique et empêcher la Foi de s’installer.
La négligence, l’indifférence, la dispersion empêche de reconnaître ce qui est juste, mène à la suffisance, à l’arrogance.
La paresse est une habitude due au découragement, au manque d’enthousiasme.
L’avidité, la complaisance ou la dépendance des sens, se produit quand on encourage ses désirs.
Les fausses connaissances consistent à ne pas voir la réalité sous jacente par manque d’humilité et la croyance de détenir la vérité.
L’incapacité à trouver sa voie se produit quand il y a un manque de concentration, de patience et de persévérance.
L’instabilité est l’incapacité même après avoir vu la Réalité, à garder un équilibre pendant les hauts et les bas de la vie, à cause du manque de régularité de la pratique, du manque de persévérance.
Ces obstacles ne sont pas insurmontables, ils sont connaissance partiel de la Réalité.
Ils sont tous d’abord à reconnaître, à observer dans leurs manifestations dans notre vie quotidienne, dans la pratique.
Puis en commençant par ceux qui affectent le moins, on peut essayer par exemple de cultiver leurs opposés.
La Foi s’oppose au doute et à la négligence, l’Energie s’oppose à la maladie, à l’abattement, à la paresse, l’Etude s’oppose à l’avidité, l’Intelligence intuitive aux fausses connaissances.
L’IGNORANCE
Au début du chapitre II verset 3, Patanjali décrit les cinq afflictions qui empêchent la réalisation du Soi
Les Kléshas (Causes de souffrance) les 5 causes de souffrances sont : l’ignorance, l’aveuglement (avidyâ), l’ego (asmita), le désir de garder, l’attachement (râga), le refus d’accepter, l’aversion (dvésha) et la peur de perdre, d’être séparé (abhiniveshâh)
A cause de l’ignorance de notre Soi véritable, l’égo émerge ; l’ego qui est identification aux pensées, aux sensations crée l’attachement et l’aversion, ce qui engendre la peur de la mort.
L’ignorance est le champ duquel les autres afflictions émergent, elles peuvent être latentes, atténuées, dominées, ou actives. (Verset 4)
L’ignorance est le fait de prendre l’éphémère pour le permanent, le impur pour le pur, le douloureux pour l’agréable, le non Soi pour le Soi. (Verset 5)
Il est tout d’abord nécessaire de reconnaître son aveuglement.
« Estimer correctement son degré d’ignorance est une étape saine et nécessaire » (Hubert Reeves dans « Patience dans l’azur »)
Dans les versets 24 25 Patanjali désigne l’ignorance comme la source de l’identification entre l’observateur et les objets perçus.
Dans le verset 28 Patanjali préconise la pratique des branches (anga) du Yoga afin de nous purifier et d’acquérir « la vision incessante du discernement ».
Le discernement, la discrimination est l’alternative à l’ignorance.
Krishnamurti aussi nous parle cette affliction : « L’ignorance, c’est ne pas être conscient du processus de conditionnement qui rassemble les nombreux désirs, peurs et souvenirs pleins d’activité, etc. La croyance fait partie de l’ignorance. Toute action suscitée par la croyance ne fait que renforcer l’ignorance. La soif de comprendre, d’être heureux, cet effort de se débarrasser de telle qualité pour acquérir telle vertu, tous ces efforts sont le fruit de l’ignorance, qui provient de ce besoin constant. Ainsi, la relation est toujours marquée par l’effort et le conflit.
Tant qu’il y a manque, toute nouvelle expérience conditionne la pensée et l’émotion, et ainsi perpétue le conflit. Quand il y a besoin, l’expérience ne peut pas être complète et cela renforce la résistance. Une croyance qui est le résultat du besoin, est une force qui nous conditionne. L’expérience nous limite si elle s’appuie sur une croyance, même si elle est grande et vaste.
Tous les efforts que peut faire l’esprit pour briser le cercle vicieux de sa propre ignorance ne font que permettre à l’ignorance de se prolonger. Si l’on ne comprend pas tout le processus de l’ignorance et que l’on se contente d’essayer de s’en débarrasser, la pensée sera toujours prisonnière de l’ignorance.
Donc, que doit-on faire quand on voit que toute action, tout effort ne fait que renforcer l’ignorance ? Le désir même de briser le cercle de l’ignorance, fait encore partie de l’ignorance. Alors, que doit-on faire ? Mais cette question est-elle extrêmement importante, vitale pour vous ? Si c’est le cas, vous verrez alors qu’il n’y a pas de réponse directe et positive. Car toute réponse positive ne fait qu’amener un nouvel effort qui renforce le processus de l’ignorance. Il n’y a donc qu’une approche négative et elle consiste à être totalement conscient du mécanisme de la peur et de l’ignorance. Cette conscience n’est pas un effort pour dominer, pour détruire ou pour trouver un substitut. C’est un calme qui n’est pas fait de refus ou d’acceptation, mais une tranquillité totale en dehors du choix. Cette conscience brise le cercle de l’ignorance de l’intérieur, en quelque sorte, sans la renforcer.